L’histoire du monde commence ainsi. Adam et Eve.
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Je ne me souviens plus quand tout a commencé. Ce devait être en été, dièse temporelle entre les lignes de cette vie trop sage, la canicule et la sueur. Des envies d’être une autre pour une fois, oui, un besoin furibond de me mettre à nue à mon tour. Ou bien c’était en hiver, la saison lente, devant les feux de cheminée, me découvrant cette soudaine passion pour l’enfer.
A vrai dire, je ne sais plus, je ne veux même pas savoir, même pas comprendre : tout a commencé et les saisons n’auraient rien changé, que ma foutue volonté et rien d’autre.
Je suis Marion. Marion Deshayes.
Il est trop tard pour faire demi-tour, pour retourner dans l’autre peau. Ce doit être moi ce reflet, ce visage dans le rétroviseur, ce doit être moi cette fille-là désormais. J’appuie sur l’accélérateur, j’ai hâte de rejoindre mon amant, fantôme de peau qui hante mon esprit. Ce soir, je vais m’introduire sous son drap, faire comme si de rien n’était, oublier la petite fille et les s’il-vous plait. Marion Deshayes, ça vous dit quelque chose ?
Je ne le sais pas mais dans deux heures, je plongerai dans l’abyme, une fosse sans fond qui va s’ouvrir sur cette route. Je serai avalée par la terre, ensevelie, enterrée vivante. Quelle heure est-il ? Les phares surgissent des virages, les mots dans mon esprit, éblouissants de bon-sens. Nous ne sommes que des corps, rien n’a autant d’importance que le plaisir. Et que l’oubli.
En roulant vers lui, je m’oublie, j’oublie mon enfance, ma famille. J’oublie d’où je viens.
Devenir un fantôme n’a rien de terrifiant finalement. Je m’habitue à cette idée, tout est logique : dans quelques minutes, je vais franchir le cap. Je vais devenir une autre, égérie de la mort. Le top-model des cicatrices.